La science-fiction a pour sujet de prédilection l’apparition d’épidémie foudroyante, sans antidote. L’histoire témoigne aussi d’épisodes tragiques et associés à la peste noire, la grippe espagnole ect… Ces épidémies se sont produites à des périodes de l’histoire où les connaissances en médecine et en hygiène étaient faibles.
Néanmoins, le sujet d’une nouvelle épidémie potentielle revient régulièrement dans les médias (exemple: la grippe aviaire). Dernièrement les médias britanniques se sont emparés d’un rapport publié le 15 avril dernier pas l’Agence du ministère de la Santé britannique (Public Health England) alertant sur la recrudescence de cas de ‘super-gonorrhée’.
Selon les derniers chiffres connus, plusieurs dizaines de cas ont été comptabilisés (34 depuis novembre 2014). Ce chiffre demeure faible comparé au nombre de cas diagnostiqués chaque année en France (1330 en 2014). Toutefois, il faut prendre en compte le fait que la gonorrhée est une infection souvent asymptomatique.
La France n’est pas le pays le plus touché par cette IST. C’est le Royaume-Uni qui a le taux le plus élevé de cas de gonorrhée (35 000 cas en 2014). Mais de manière générale, on observe une augmentation globale du nombre de personnes touchées par la gonorrhée en Europe.
En plus de cet accroissement, la mutation de la bactérie inquiète les autorités sanitaires et plus précisément le fait que certains antibiotiques ne permettent plus de détruire la bactérie. On estime que les conséquences d’ici les prochaines années pourraient être désastreuses
Il ne faut pas sous-estimer le problème de l’antibiorésistance. Certains scientifiques considèrent que cette question est comparable à la problématique du réchauffement climatique.
Les Etats-Unis ont récemment recensé le cas d’une patiente souffrant d’une infection urinaire résistantes aux traitements antibiotiques. Comme indiqué dans un précédent article, l’antibiorésistance est prise extrêmement au sérieux par les scientifiques.
Pour vous délivrer des réponses pertinentes quant à la super-gonorrhée, nous avons interrogé deux experts en santé sexuelle: Paul Casey (Familly Planning Association) et Sue Berchill ( Young people's sexual health and wellbeing charity Brook).
Gonorrhée : Qui est concerné ?
Les principaux chiffres concernant les IST en France proviennent des CIDDIST (Centre de Dépistage Anonyme et Gratuit ) et CDAG (Centre d’Information, de Dépistage et de Diagnostic des Infections Sexuellement Transmissibles) et de la Sécurité sociale. Ces statistiques permettent d’attirer l’attention sur la recrudescence de certaines infections telle que la syphilis par exemple et de concentrer la prévention sur certains groupes de la population.
Quelles tendances ont donc été identifiées ?
Sue Berchill explique:
“Les statistiques britanniques montrent :
- En 2014, la gonorrhée est la troisième infection la plus diagnostiquée en Angleterre
- 68% de ces cas concernent des relations sexuelles entre hommes
- 55% des cas de gonorrhée diagnostiqués chez les hétérosexuels concernent des personnes âgées entre 15 et 24 ans
- Le taux de gonorrhée est plus élevé dans les zones urbaines, spécialement à Londres”
Selon Paul :
- "Les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes sont touchés par la gonorrhée de manière disproportionnée. Cependant, on constate que l’augmentation des cas de gonorrhée résistante concernent autant les homosexuels que les hétérosexuels.”
En outre, bien que la gonorrhée soit plus généralement associée aux jeunes, elle touche les personnes de tout âge:
"Toute personne sexuellement active peut être contaminée par la gonorrhée”. Paul explique “cette infection se transmet lors de rapports vaginaux, anaux ou oraux non protégés, ou par l’intermédiaire du partage d’accessoires sexuels. La gonorrhée est l’infection sexuellement transmissible la plus courante chez les personnes âgées entre 20 et 24 ans. Toutefois, en 2014 on a comptabilisé 3 193 diagnostiques chez des patients âgés de plus de 45 ans. C’est une augmentation de 22,5% en comparaison avec le nombre de cas en 2013."
Symptômes potentiels
L’aspect le plus problématique de la gonorrhée est qu’elle est bien souvent asymptomatique. C’est-à-dire qu’aucun symptôme n’apparaît. Et même quand l’infection déclenche des symptômes, ils sont généralement minimes et n’attirent pas l’attention du patient.
Paul nous précise que"les personnes contaminées développeront des symptômes à des moments différents, voir pas du tout. Comme pour d’autres IST, il est possible de contracter la gonorrhée sans s’en apercevoir. Chez certains patients, les symptômes apparaîtront dans les 14 jours qui suivent la contamination, ou un mois après ou à partir du moment où l’infection se propage vers d’autres parties du corps.".
Selon le sexe de la personne contaminée, les symptômes différeront:
Chez les femmes on constatera les symptômes suivants:
- Sécrétion vaginale, épaisse ou fine, jaune ou verte
- Douleurs abdominales basses
- Plus rarement; saignements entre les règles ou règles abondantes
Les symptômes chez hommes incluent:
- Sécrétions inhabituelles du pénis, de couleur blanche, jaune ou verte
- Sensibilité ou douleurs au niveau des testicules (plus rare)
- Les hommes et les femmes peuvent ressentir une certaine douleur au moment d’uriner
En outre, Sue ajoute:
- "En cas de rapports oraux ou anaux non protégés, la gonorrhée peut aussi affecter le rectum ou la gorge"
- "Lorsqu’elle touche la gorge, généralement aucun symptôme n’apparaît mais cela peut se traduire par un certain inconfort ou de la douleur. Si le fluide vaginal ou les semences contaminés entrent en contact avec vos yeux, cela peut provoquer une conjonctivite"
- "Un homme sur dix et la moitié des femmes souffrant de gonorrhée ne développeront pas de symptômes"
Complications et risques sur le long terme
Sans traitement, les conséquences sur le long terme pour la santé peuvent être néfastes. Comme tout autre IST, la gonorrhée peut engendrer des complications graves:
- "Chez les femmes, la gonorrhée peut atteindre les organes reproducteurs et causer une maladie inflammatoire pelvienne, responsables de douleurs pelviennes, d’une obstruction des trompes de fallope, d’infertilité et de grossesse extra-utérine (quand une grossesse se développe en dehors de l’utérus)"
- "Chez les hommes, la gonorrhée peut conduire à une infection douloureuse des testicules et à des problèmes de fertilité"
- "De manière plus exceptionnelle, la gonorrhée peut provoquer une inflammation des articulations et des tendons ou à des lésions dermatologiques"
Paul tient à préciser que ces complications peuvent être évitées lorsque les patients agissent rapidement:
"Soignée précocement, la gonorrhée à peu de risques de causer des problèmes de santé sur le long terme. Cependant, sans traitement efficace, l’infection peut se propager à d’autres parties du corps et plus vous attendez, plus le risque de complications est élevé."
Qu’est-ce que la super-gonorrhée ?
Par son côté sensation, l’adjectif “super” peut prêter à confusion et véhiculer l’idée que cette souche de gonorrhée est plus contagieuse ou dangereuse pour la santé. Pourtant ce n’est pas le cas. Cette souche se nomme ainsi en raison de sa capacité très résistante aux traitements habituels. Comme Paul l’illustre.
"Le traitement actuellement recommandé pour la gonorrhée se compose de deux antibiotiques à prendre ensemble: l’un est sous forme d’injection, le deuxième se présente sous forme de comprimé. L’expression ‘super-gonorrhée’ décrit la souche de la bactérie ayant développé une résistance à l’un de ces deux antibiotiques; l’azithromycine."
"Si la bactérie développe aussi une résistance au deuxième antibiotique; la ceftriaxone, il peut être impossible de soigner les symptômes. L’actuelle épidémie recensée dans certaines régions d’Angleterre depuis 2014 concerne 34 cas de gonorrhée ne répondant pas aux actifs de l’azithromycine."
Quelles sont les causes de l’antibiorésistance ?
Ce n’est pas la première fois que les scientifiques sont confrontés à des bactéries résistantes à certaines catégories d’antibiotiques. D’ailleurs, des souches de la bactérie Neisseria Gonorrhoeae ont déjà développé une antibioréstance au début des années 1970.
En fait, plus le nombre d’antibiotiques utilisés est important, plus la bactérie en cause développe des capacités pour combattre ces agents actifs, s’adapter et survivre. Par conséquence, le traitement classique pour la gonorrhée a dû être ajusté au fil des années.
Ainsi Paul explique que "la gonorrhée a rapidement développé une résistance aux antibiotiques, ce qui a débouché sur une augmentation du nombre de diagnostiques. En 2014 il y avait 34 958 nouveaux cas de gonorrhée en Angleterre, c’est-à-dire une augmentation de 18,8% par rapport aux chiffres de 2013. C’est la première cause d’infection chez les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes."
Des nouveaux antibiotiques ont été mis au point comme traitement alternatif afin de lutter contre les infections résistantes, mais la production ne suit pas la demande.
Selon Paul,"le meilleur traitement est celui de la double thérapie, une combinaison d’azythromicine et de ceftriaxone. Les médecins ont d’autres traitements à leur disposition si cette combinaison d’antibiotiques ne fonctionne pas, dont différentes combinaisons ou dosages, mais ces options sont limitées."
C’est pourquoi la résistance aux antibiotiques constitue une problématique globale. La résistance des souches de gonorrhée est un avertissement quant aux autres antibiorésistances qui peuvent se développer d’ici les prochaines années.
Que peuvent faire les patients et docteurs ?
Les autorités sanitaires ont déjà pris l’initiative de lutter contre un risque de propagation de la super-gonorrhée:
Néanmoins, la première étape pour éviter le développement de cette souche résistante est la prévention, tant au niveau des patients que des docteurs.
Dans le cas de la gonorrhée, Paul indique qu’il est crucial de limiter la propagation de l’infection. Cela débute par des relations sexuelles protégées:
"Il est très important d’être conscient de l’importance d’avoir des rapports sexuels protégés; d’utiliser des préservatifs lors de rapports sexuels vaginaux ou anaux, mais aussi durant le sexe oral et lors du partage d’accessoires sexuels. Si vous avez un rapport non protégé, effectuez un test aussi rapidement que possible, afin d’être sûr que vous n’avez pas contracté d’infection."
Si vous avez contracté la gonorrhée, pensez à le dire à votre partenaire actuel et aux partenaires que vous avez eu dans les six derniers mois car ils peuvent aussi être touchés et cela leur permettra d’obtenir un traitement rapidement.
Les patients ayant été diagnostiqués positivement pour la gonorrhée doivent stopper toute relation sexuelle pendant la durée du traitement. En outre, vous devez effectuer un test afin de vous assurer que la bactérie n’est plus présente dans vote corps. Ainsi Sue explique:
"Votre médecin vous prescrira un autre test entre deux et quatre semaines après la prise de votre traitement afin de s’assurer que l’infection ait disparu. Ce test est très important pour s’assurer qu’il n’y a pas de risques de complication."
Si malgré le traitement antibiotique, l’infection est toujours présente, consultez votre docteur afin qu’il puisse vous soigner correctement.
Enfin, si vous êtes soigné, ne négligez pas l’utilisation de préservatifs dans le futur. Comme Sue l’explique, “le traitement pour la gonorrhée ne vous offre pas une immunité”.
Quelle est la situation en France ?
Comme indiqué précédemment, la France n’est pas le pays le plus touché par l’accroissement des infections de gonorrhée. Néanmoins, elle n’est pas épargnée par le “retour” de cette IST. Entre 2001 et 2012, le nombre de cas de gonorrhée a ainsi été multiplié par dix. Une étude en date de 2014 permet de noter que l’antibiorésistance de souches de la gonorrhée a augmenté en France. Mais contrairement au Royaume-Uni, le risque d’une épidémie de super-gonorrhée est beaucoup moins risquée. Cela est dû à différentes raisons. Dans une interview en date du 3 janvier 2016, médecin Stéphane Gayet explique que “notre système de santé et notre politique d’antibiothérapie nous protègent, en comparaison de ce qu’il en est chez les britanniques”.
Néanmoins, le risque est réel est aucun pays n’est épargné. La meilleure des préventions est donc d’avoir des rapports sexuels protégés.